Délégation académique au numérique éducatif

Usage expérimental de tablettes tactiles en classe de CM2

14 / 10 / 2014 | DGL

Comment vous est venue l’idée d’utiliser un ENT et des tablettes numériques avec votre classe de CM2 ?

L’école Edgar Quinet a accepté la proposition du Rectorat de jouer le rôle de classe pilote pour expérimenter l’usage en classe de tablettes tactiles, dans le cadre d’un partenariat établi entre le Ministère de l’Education Nationale, l’Académie de Créteil et la société Samsung.

Quelles étaient vos motivations pour accepter d’initier ce genre d’expérimentation ?

D’abord, il est nécessaire de replacer cette expérimentation dans son contexte sociologique. L’effectif de la classe comprend plusieurs élèves qui ne parlent pas français ; parmi eux, certains sont ce que l’on appelle -dans le jargon du métier- des « primo-arrivants ». Ils viennent d’arriver en France –certains depuis quelques semaines seulement- et la scolarisation d’un public allophone pose, comme on peut le comprendre, des difficultés bien spécifiques. Or, il nous a semblé que les tablettes numériques pouvaient considérablement aider les élèves et les enseignants pour permettre la meilleure insertion possible. Ensuite, pour répondre à votre question, il faut préciser que, paradoxalement, ces élèves « primo-arrivants » possèdent déjà, de facto, des compétences en matière de numérique, du fait même que ces élèves sont en permanence connectés aux membres de leur famille restés au pays. Ainsi, ils utilisent fréquemment le téléphone portable, la connexion Internet pour pouvoir préserver le lien familial et social.

Certes, mais comment faites-vous pour passer d’un usage privé des outils de communication à un usage pédagogique de ces outils au sein de la classe ? N’est-ce pas un peu risqué, précisément en raison de cette hétérogénéité sur le plan social dont vous venez de parler ?

Certes, cela n’était pas évident au départ. Mais en même temps, et paradoxalement, cette difficulté m’a paru pouvoir constituer un atout pour m’aider à gérer cette hétérogénéité. Ce qu’il faut comprendre, c’est que l’organisation de la classe obéit à un double principe. Le principe d’un enseignement commun à tous les élèves de la classe, et le principe de la personnalisation des parcours. Tout le sens de mon travail est de mettre en œuvre une différenciation –apporter à chaque élève en fonction de ses besoins personnels- sans perdre de vue l’impératif de la cohésion générale du groupe. Ainsi, concrètement, les activités du matin sont centrées sur l’apprentissage de la lecture et de la langue française, ce qui est bien sûr un élément fondamental tous les élèves, et bien entendu pour aider les élèves étrangers à s’intégrer. Les activités de l’après-midi sont davantage centrées sur les arts plastiques, les sciences et la culture humaniste.

En ce qui concerne ce travail de différenciation pédagogique, il faudrait également parler des apports de l’Espace Numérique de travail (l’ENT). Lorsque je prépare mes séquences de cours, je pense dès le début au fait que je vais les déposer sur l’ENT et, donc, que les élèves pourront les enregistrer et les ré-exploiter chez eux ou durant les heures d’aide personnalisée. Chacun d’entre eux pourra en tirer profit, à son rythme ; il pourra s’en servir pour compléter les parties du cours qu’il n’aura peut-être pas comprises en classe. Les outils numériques ne remplacent pas l’explication orale, mais ils permettent de diversifier les supports et également les approches.

Soit. Mais qu’est-ce qu’apportent les tablettes tactiles sur le plan pédagogique ?

Beaucoup de choses en réalité, car le numérique permet d’ « ouvrir le champ des possibles ». Car le point absolument fondamental, c’est que le numérique permet d’accéder à beaucoup de ressources visuelles. Et le langage des images possède une certaine forme d’universalité : il permet de rendre présents et visibles des objets, des réalités diverses sans qu’il soit besoin de se perdre dans des explications verbales nécessairement complexes. C’est particulièrement manifeste dans les disciplines telles que les arts plastiques ou encore la culture humaniste. Encore une fois, les outils numériques ne remplacent pas l’explication orale ; mais ils offrent des supports visuels de première importance qui se laissent appréhender de manière plus intuitive. On pourrait aller plus loin. Il ne faut pas oublier que nombreux sont les élèves de ma classe qui n’ont guère eu l’occasion de quitter Aubervilliers. Pouvoir m’appuyer sur différents medias (des images, des sons, des textes, des vidéos) pour travailler sur le cours des fleuves, sur les villes, sur les ports, ou encore sur tel personnage historique, nous fait voyager dans l’espace et dans le temps d’une manière très concrète. A côté du monde réel qui est le leur, il y a aussi le vaste monde à découvrir. C’est pourquoi j’ai employé l’expression « ouvrir le champ des possibles ».

Ce qu’il y a d’intéressant avec le numérique, c’est qu’il permet également la transversalité et la réversibilité. La transversalité, puisque l’on peut créer, modifier, enregistrer et partager des documents, mutualiser des ressources, et cela dans toutes les matières enseignées. En fait, les élèves apprennent et découvrent par le numérique, mais ils apprennent aussi le numérique ; ils acquièrent de réelles compétences en numérique. On dit souvent qu’aujourd’hui, on peut se former au numérique par le numérique. C’est tout à fait ce qui se passe avec mes élèves. Mais je parlais également de réversibilité, car avec la possibilité de modifier un document, l’élève se découvre « un droit à l’erreur possible ». Quand ce qu’il fait n’est pas bon, il peut effacer et recommencer.

Quand on observe les élèves occupés à travailler sur leurs tablettes, on est assez surpris par la qualité de leur concentration. Après tout, nous sommes ici sur un salon (NDLR : le salon Educatice 2013, qui s’est tenu porte de Versailles, les 20, 21 et 22 novembre), avec des personnes qui se déplacent, d’autres qui parlent et s’interpellent.

Mais les élèves ne semblent pas du tout distraits par cet environnement sonore et par ce contexte inhabituel. Comment expliquez-vous ce fait ?

A vrai dire, c’est un peu difficile à expliquer. Pourquoi les enfants sont à ce point concentrés, pourquoi leur attention est capable de se focaliser à ce point sur l’écran ? Mais le fait est indéniable. Aujourd’hui, je crois que les élèves sont très contents de pouvoir montrer aux grandes personnes présentes sur le stand tout ce qu’ils savent faire avec leur tablette. Mais en classe, ils se montrent également très concentrés : une fois que je leur ai donné et bien expliqué les consignes, ils se concentrent très facilement sur leur travail. C’est un peu comme s’ils étaient plongés en immersion – d’ailleurs, ce terme revient souvent dès que l’on parle des instruments numériques-.

Est-ce que l’usage des tablettes modifie votre manière d’enseigner ?

Non, pas vraiment, du moins pas sur toute la ligne. L’expérience n’en est encore qu’à son commencement. Mais je me rends compte que bien des craintes souvent énoncées ne sont pas vraiment fondées. Par exemple, on s’imagine souvent que l’usage des outils numériques risque d’entraîner une sorte de déshumanisation de l’enseignement, ou encore une perte de maîtrise pour l’enseignant. Moi, je constate surtout que, lorsque je demande aux élèves de travailler avec les tablettes, je demeure pour eux celui pose les questions, qui donne les consignes et, enfin, celui qui valide les réponses et qui les évalue. Je demeure la personne de référence. Bref, je suis et je demeure leur maître d’école. Les élèves ne s’y trompent pas. En revanche, ce qui change, c’est l’accès aux ressources, considérables en nombre et diversifiées en termes de supports, qui apportent une réelle ouverture aux élèves. D’ailleurs, nous avons commencé à constituer ensemble une sorte de manuel interactif, réalisé essentiellement par les élèves. C’est très dynamisant et très créatif, car les élèves développent un rapport plus actif au savoir et, surtout, ils mutualisent les ressources et partagent leurs compétences les uns avec les autres. Il est assez étonnant de voir avec quelle facilité ils s’emparent des outils numériques !

Oui, d’ailleurs, à ce propos, quand on observe la dynamique de la classe pendant les séquences avec tablettes, on ne voit guère de différence avec un cours traditionnel. N’est-ce pas un peu surprenant ?

Mais vous vous attendiez à quoi ? A voir vingt-quatre bambins s’embarquer à bord de soucoupes volantes ? (Rires). Non, fondamentalement, les élèves sont là pour apprendre et comprendre, et ils ont besoin d’un maître pour les guider, les conseiller dans leurs apprentissages. Mais la différence, avec le numérique, c’est que les élèves sont en position d’acteurs et de chercheurs. Moi, je passe dans les rangs pour les accompagner au gré de leurs demandes : ils essaient, ils cherchent, ils se trompent, ils découvrent et moi je suis là pour les aider. Bien sûr, des ressources pédagogiques sont mises à leur disposition, mais ils ne peuvent rien en faire tout seuls. Le changement n’est peut-être pas aussi spectaculaire qu’on ne se l’imagine. Mais ce qui change vraiment, c’est le geste tactile.

Le geste tactile ? Que voulez-vous dire par là ?

Pour tous les enfants –même lorsqu’ils ne sont pas en classe- le fait de pouvoir lancer une application en touchant une icône confère à l’instrument numérique un caractère intuitif, une dimension d’immédiateté qui les fascine et les rassure. Cela vaut également pour le travail fait en classe. Si l’on compare avec un ordinateur, on pourrait croire que la différence est mince. Mais ce n’est pas exact : l’ordinateur implique toute une série de médiations techniques et linguistiques (par exemple, l’entrée par les menus). Tandis qu’avec les tablettes, les icônes renseignent immédiatement sur le type d’application. De même, comme vous avez pu le constater vous –même, la saisie prédictive permet à l’élève de trouver le mot approprié pour désigner ce dont il est question, même s’il n’en maîtrise pas l’orthographe. Par exemple, dans la leçon de sciences naturelles consacrée à la digestion, il y a des mots difficiles tels que « œsophage ». Si l’élève commet une erreur, il peut tâtonner, effacer puis corriger. Cela aide beaucoup. C’est la réversibilité dont nous parlions tout à l’heure.

Utilisez-vous les tablettes en permanence et pour toutes les activités ?

Pour la plupart des activités oui, en raison des ressources pédagogiques disponibles dans chaque matière et compte-tenu du caractère visuel déjà évoqué : grammaire, orthographe, arts plastiques… En revanche, j’impose une durée maximale : pas plus de soixante minutes par jour. Pour deux types de raisons : d’abord, par principe de précaution, pour ne pas exposer trop longtemps les élèves aux ondes et aux écrans. Ensuite, parce que les méthodes traditionnelles (l’usage des manuels et des cahiers sur support papier) présentent des avantages bien connus avec lesquels il faut compter.

Pensez-vous que le numérique tend à se substituer aux méthodes traditionnelles d’enseignement ?

Encore une fois, nous n’en sommes encore qu’au début. Mais, pour ma part, si je me base sur ma pratique pédagogique, je pense que le numérique ne vise pas à supplanter les méthodes traditionnelles d’enseignement. Mais il rend possible un rapport différent au savoir, dans lequel les élèves sont davantage actifs et impliqués. Je pense qu’il est important que l’école soit aussi ce lieu d’apprentissage des nouvelles technologies, parce qu’elle propose un cadre et des méthodes dont les élèves ont besoin pour apprendre convenablement.