Usage pédagogique du jeu à l’école pour apprendre à lire, écrire et compter (école maternelle)
Retour d’expérience n°1
Aujourd’hui, dans ce premier article d’une série d’articles consacrée aux retours d’expériences pédagogiques conduites durant le confinement, nous découvrons l’action d’Émilie, professeure des écoles au Plessis-Trévise (Val de Marne, 94). Pendant cette période, elle a développé un usage pédagogique du jeu avec ses élèves de maternelle pour leur apprendre à lire, écrire et compter et, bien au-delà de son travail sur les apprentissages, à préserver via le numérique le lien humain irremplaçable qui unit l’enseignante et les élèves.
Usage pédagogique du jeu à l’école pour apprendre à lire, à écrire et à compter (niveaux : maternelle et primaire).
- École élémentaire au Plessis-Trévise (Val-de-Marne)
- Enseignante : Émilie, professeure des écoles.
DANE de Créteil : Quel a été le public concerné par cette pratique ?
Émilie : J’ai réalisé plusieurs jeux centrés sur l’apprentissage de la lecture, de l’écriture et du calcul.
Cette pratique a concerné les élèves de moyenne section en priorité. J’ai cependant élargi les niveaux de mes exercices afin d’en faire profiter mes collègues pour des élèves de Grande section, CP, CE1 voire du CE2 pour les
élèves en difficulté.
DANE : Quels ont été le thème et les objectifs visés par cette pratique ?
Émilie : En mathématiques, j’ai proposé aux élèves le jeu du bus et celui du chaperon rouge. Par exemple, j’ai recréé un jeu proposé par une conseillère pédagogique dans lequel il s’agit de trouver le nombre d’enfants qui ont pris le bus en retranchant des petits nombres à un nombre inférieur ou égal à 10. Ou encore, il fallait trouver le panier ayant le plus de pommes pour le petit chaperon rouge en comparant des quantités inférieures ou égales à 10.
Pour la partie écriture / reconnaissance des lettres, j’ai proposé aux élèves le jeu du Mémory des lettres qui leur permet d’exercer
leur mémoire visuelle et de saisir la correspondance, pour telle ou telle lettre, entre l’écriture scripte et l’écriture en lettres capitales.
Pour travailler la phonologie avec les élèves, je leur ai proposé d’autres jeux encore :
“TAP’ la lettre” pour aider les enfants à établir correctement la correspondance scripte / capitale ;
ou encore “Pac-Man mange les syllabes” pour les aider à compter le nombre des syllabes.
J’ai aussi recréé des livres interactifs avec des exercices à l’intérieur des histoires pour que l’élève travaille les mathématiques / la phonologie / les lettres tout en se déplaçant dans un album virtuel ("la grosse faim de petit bonhomme", "le loup qui voulait faire le tour du monde", "le loup qui n’aimait pas lire").
DANE : Au cours de quelle période la pratique a-t-elle été mise en œuvre ?
Émilie : J’ai mis en œuvre cette pratique durant tout le confinement (du mois de mars au mois de mai). Les élèves ont pu jouer et refaire les histoires autant de fois qu’ils le souhaitaient une fois qu’ils étaient mis en ligne.
DANE : Décrivez ici le détail des étapes constitutives de la pratique
Émilie : Tous les lundis et jeudis, j’envoyais une nouvelle histoire via un lien Youtube. Tous les jours j’envoyais une fiche avec des exercices en lien avec cette histoire. Je proposais aussi par mail, une alternative à ces fiches via de la manipulation. Tous les deux jours j’envoyais soit un livre interactif, soit un jeu que j’avais créé. Les enfants pouvaient jouer tous les jours aux jeux, et revivre l’histoire des albums autant de fois qu’ils le voulaient.
DANE : Avez-vous utilisé d’autres logiciels numériques ?
Émilie Oui, je me suis servie principalement de deux logiciels :
- Genial-ly, outil pour créer des contenus interactifs et pour réaliser ces jeux / livres.
- Paint, pour effectuer le découpage des images.
DANE : Qu’est-ce qui a déclenché la volonté de mener cette pratique ?
Émilie : Tout d’abord, je me suis rendue compte que l’enseignement à distance en maternelle allait me faire rencontrer plusieurs barrières.
La première : repenser ma pédagogie (je travaille en ateliers de manipulation en classe, ce qui est difficile à réaliser à distance, à expliquer, et beaucoup de parents n’avaient pas assez de temps à consacrer à leurs enfants pour la manipulation à cause du télétravail, des devoirs des grands frères et sœurs, ou du temps passé avec le petit frère ou petite sœur).
La seconde : l’envie des enfants de reproduire les exercices de la classe à la maison (beaucoup de mes élèves ne voulaient pas faire les exercices de manipulation proposés avec leurs parents).
La troisième : la question du manque de matériel / outils des parents (l’imprimante surtout). Durant l’année, beaucoup de parents me disaient que leurs enfants jouaient beaucoup sur la tablette, la console ou l’ordinateur. J’ai voulu pallier les difficultés rencontrées en m’appuyant sur ces remarques.
J’ai donc allié les vidéos d’albums lus à des fiches que je créais, les exercices de manipulation expliqués par mails, et les exercices virtuels sous forme de jeux en lien direct avec les sujets que nous étions en train de travailler.
J’ai pu constater que les parents étaient ravis et qu’au retour du confinement les enfants avaient beaucoup apprécié les jeux et les les livres interactifs que je leur avais proposés.
DANE : Qu’est-ce qui est spécifique à la pratique décrite ?
Émilie : Cette pratique a permis aux parents de ne pas imprimer (donc de ne pas utiliser du papier en imprimant des fiches quotidiennement), et de gagner du temps. Les jeux proposés peuvent être déclinés en plusieurs niveaux donc s’adapter aux enfants, à leurs facilités/difficultés. Un même jeu peut être proposé au cycle 1 et 2 sans problème en créant plusieurs niveaux de difficultés, donc en changeant les objectifs dans le jeu.
Cette pratique permet de faire de la différenciation de manière simple et efficace. Elle permet aussi aux enfants de rebrasser facilement un exercice. Elle permet aussi de faire travailler facilement les enfants via les nouvelles technologies. Cela est plus attractif qu’une fiche, ou que la manipulation pour certains. Enfin, elle permet aux enfants de travailler n’importe où, sans beaucoup de matériel et de manière autonome (les jeux indiquent les erreurs).
Les jeux peuvent être corrigés, modifiés, améliorés, réalimentés à l’infini, ce qui permet de garder le même support mais de le décliner de plusieurs manières.
DANE : Qu’est-ce qui a rendu possible cette action ?
Émilie : Cette action a été rendue possible car tous les parents disposaient d’une tablette, d’un ordinateur ou d’un smartphone. Les enfants sont habitués à utiliser les nouvelles technologies et aiment cela, c’est ce qui a rendu la pratique du numérique simple et efficace avec les élèves.
DANE : Quels retours avez-vous eus à la suite de cette action pédagogique ?
Émilie : Le retour des élèves et des parents a été très positif. Cela nous a conduit à travailler ensemble et autrement, à collaborer plus étroitement entre enseignants, élèves et parents, notamment grâce à l’usage fréquent des mails et à des discussions constantes avec les parents et les collègues. Les parents étaient ravis de faire travailler leurs enfants sur ce support, car Genial-ly permet de créer et de partager des contenus interactifs très facilement. En outre, mon travail a aussi pu profiter à mes collègues qui ont partagé les jeux à leurs élèves de niveaux identiques ou différents).
DANE : Pensez-vous que cette expérience a eu ou va avoir un retentissement durable sur votre pratique professionnelle ?
Émilie : Oui, cela me paraît certain. J’ai beaucoup aimé me lancer dans la création de ces jeux / livres. Cette période de confinement m’a permis de m’auto-former au numérique et de repenser ma pédagogie. Je réutiliserai cet outil dans mes futures classes quel que soit le niveau (pour des révisions par exemple en cycle 3, ou pour de la lecture compréhension, des mathématiques sous forme de jeux...). Les possibilités sont infinies, seule l’imagination est la limite.
DANE : Selon vous, quelles sont les conditions de faisabilité et aussi les difficultés à anticiper pour assurer la réussite de ce projet ?
Émilie :
- Comme pour tout logiciel en ligne, les conditions de faisabilité commencent par la possibilité et la qualité de la connexion internet. Cela est évident.
- Ensuite, même si l’utilisation de ce type de logiciel est finalement assez intuitive (simple d’accès, un chat en ligne est disponible si nous rencontrons des difficultés...), il faut maîtriser plusieurs outils (la recherche sur internet, le logiciel pour découper des images...).
- Des formations quant à l’utilisation de ce logiciel sont proposées par les concepteurs, mais des formations internes quant aux pratiques du numérique pourraient encourager certains enseignants à sauter le pas.
- L’aspect financier de ce logiciel est également une barrière lorsque nous voulons créer des Genially plus complexes ou enregistrer le Genially sur l’ordinateur, donc pouvoir y accéder sans connexion internet (ce qui n’est possible qu’avec la version payante).
DANE : Pensez-vous que cette expérience puisse être partageable et mutualisable ?
Émilie : Oui, car les enseignants sont demandeurs. J’ai partagé mon travail avec mes collègues car le partage des expériences est important. J’ai aussi pensé aux enseignant(e)s qui ne sont pas familiers avec les nouvelles technologies, je pense qu’il aurait été dommage de ne pas leur en faire profiter.
Je pense même qu’il serait possible, pour des équipes enseignantes, de créer une "banque" de jeux / livres interactifs / sources de révisions / exercices, qui pourraient servir à chaque membre de l’équipe enseignante qui le souhaite, et qui serait réutilisée au fil des années, en gardant la possibilité de les modifier, les améliorer, les alimenter, etc...
À mon sens, il est tout à fait possible de créer un projet d’école autour de la pratique du numérique. Par exemple en différenciant les objectifs pour chaque cycle, en créant des ressources qui serviront sur plusieurs niveaux et qui dureront dans le temps en les faisant évoluer en fonction des programmes et des pratiques de chacun.
La DANE de Créteil vous remercie pour cet échange et pour ce très beau projet pédagogique qui intègre pleinement les usages du numérique.