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Réflexions croisées sur l’accompagnement des usages avec l’IA

Article mis à jour le 7 décembre 2024

En parallèle du salon Educatech de novembre 2024, la Drane Île-de-France a proposé un atelier de réflexions croisées sur l’accompagnement des usages de l’intelligence artificielle (IA). Introduit par Pierre Cauty, nouvellement nommé délégué régional académique au numérique éducatif d’Île‑de‑France, ce temps de rencontre avait pour objectif principal de favoriser les échanges entre les trois académies afin de mutualiser les pratiques et de partager l’état de réflexion de la Dgesco relatif à l’impact de l’IA sur les pratiques pédagogiques.

 L’intelligence artificielle, un défi pour l’éducation nationale

L’intégration de l’intelligence artificielle dans le système éducatif soulève de nombreuses questions, à la fois sur son potentiel et sur les limites à respecter. En tant que phénomène omniprésent, notamment à travers les IA génératives, cette technologie bouscule les pratiques pédagogiques et administratives. Face à ces évolutions rapides, l’éducation nationale cherche à établir un cadre clair et éthique, en cohérence avec ses valeurs fondamentales : équité, respect et protection des données personnelles.

L’un des enjeux majeurs réside dans la définition des usages acceptables de l’IA en classe et au sein des institutions, tout en s’assurant qu’elle demeure un outil au service de l’humain, et non un substitut. Actuellement, peu de solutions respectent pleinement les exigences souveraines et éducatives, mais des initiatives ambitieuses se dessinent. Par exemple, des partenariats avec Open LLM et Class’Code visent à développer des bases de langage adaptées spécifiquement au domaine de l’éducation. Bien que ce travail prenne du temps, il offre une perspective prometteuse pour aligner les outils technologiques avec les besoins pédagogiques.

La formation des enseignants et des cadres constitue une priorité 1. Sensibiliser, accompagner et rassurer ces acteurs clés est essentiel pour permettre une adoption éclairée et confiante de l’IA. Des ressources telles que le programme AI4T 2, disponible en ligne, offrent une acculturation rapide et accessible à l’intelligence artificielle. Par ailleurs, des espaces collaboratifs comme la CREIA 3 encouragent la réflexion collective et le partage d’expériences autour des usages éducatifs de l’IA.

Dans ce contexte en constante évolution, l’éducation nationale s’attache à conjuguer innovation et préservation de ses valeurs, pour garantir une utilisation de l’IA bénéfique et éthique dans les écoles.

 Mutualiser les pratiques

L’atelier organisé par la Drane Île-de-France a débuté avec le témoignage de quatre enseignants qui ont partagé leurs expériences d’intégration de l’IA dans leurs cours.

Une interrogation de suspects en anglais

Laure Savourat, enseignante d’anglais dans un collège de Seine‑et‑Marne, a utilisé la plateforme Mizou pour créer un chatbot permettant aux élèves d’interroger des suspects dans le cadre d’une enquête policière fictive. L’IA est programmée pour répondre aux questions des apprentis enquêteurs, corriger les erreurs linguistiques éventuelles en suggérant des reformulations, et recadrer la conversation en cas d’écarts ou d’invectives. Laure Savourat souligne l’importance de donner des directives précises à l’IA afin d’éviter toute confusion et contournement éventuel par les élèves, notamment en ce qui concerne la langue utilisée. L’enseignante a adapté un scénario d’enquête fictive sur un homicide, initialement conçu sans numérique, qu’elle a dû ajuster, l’IA refusant d’inclure des scènes de violence.

L’utilisation d’un agent conversationnel fournissant à chacun une réponse personnalisée a permis d’engager les élèves dans une conversation interactive proche du réel.

Même si cela est perfectible, Mizou permet également d’évaluer les élèves. L’IA donne une note à chacun (système de notation anglo-saxon) et inclut des commentaires sur leur performance. L’enseignante accède également aux échanges entre l’élève et la machine.

Laure Savourat insiste sur le respect des données personnelles. En effet, même si l’outil est conforme au RGPD, elle demande aux élèves de s’identifier par leur place dans la classe et non par leur nom ou leur prénom.

Depuis, l’enseignante a transposé cette activité en injectant les prompts utilisés dans ChatGPT, outil permettant une interaction orale sur des dispositifs mobiles. La situation plus conforme à la réalité permet de travailler l’expression orale et augmente l’engagement des élèves.

Une approche personnalisée pour les élèves en difficulté en espagnol

Franck Tarin, professeur d’espagnol à l’unité d’enseignement de l’hôpital de jour Montsouris, accompagne des adolescents âgés de 12 à 20 ans souffrant de troubles psychiques parfois graves. Dans cet environnement unique, il perçoit l’intelligence artificielle comme un levier indispensable pour relever les défis éducatifs posés par des élèves en rupture scolaire ou présentant des difficultés cognitives. Pour lui, intégrer l’IA dans la culture numérique éducative n’est pas une option, mais une nécessité.

Une de ses initiatives phares consiste à impliquer directement les élèves dans l’élaboration de prompts destinés aux outils d’IA. Ce processus collaboratif favorise leur engagement tout en développant des compétences transversales, comme la structuration des idées, la communication et la pensée critique. En personnalisant l’usage des technologies en fonction des besoins spécifiques, Franck Tarin ouvre la voie à une pédagogie inclusive qui respecte la singularité de chaque élève tout en valorisant leur potentiel.

L’IA permet également aux enseignants d’innover et d’enrichir leurs pratiques pédagogiques. Des outils comme ChatGPT ou des solutions spécialisées telles que Nolej facilitent, par exemple, la création automatisée d’exercices interactifs. En réduisant la charge de travail liée à certaines tâches répétitives, ces technologies offrent aux enseignants davantage de temps pour un accompagnement individualisé et approfondi.

Certains outils d’IA s’avèrent particulièrement adaptés aux élèves ayant des besoins spécifiques. Les narrateurs vocaux, par exemple, soutiennent les élèves dyslexiques en rendant la lecture plus accessible, tandis que les logiciels de transcription vocale (speech-to-text) permettent aux élèves dysgraphiques de produire des écrits sans être limités par leur difficulté à écrire. Pour les élèves atteints de troubles de la personnalité ou du spectre autistique, des outils comme MIZOU offrent un environnement moins émotionnellement chargé, les aidant à progresser en expression écrite et orale.

Franck Tarin souligne également le rôle de l’IA dans l’individualisation des apprentissages pour les élèves à haut potentiel. Des solutions comme celle de Vittasciences, conforme au RGPD, permettent une exploration approfondie et personnalisée des sciences. Il évoque aussi ChatPDF, qui permet d’interagir avec des corpus documentaires riches, mais dont l’utilisation est limitée par des contraintes de conformité.

Cependant, l’enseignant reste attentif aux enjeux éthiques et critiques liés à l’intégration de l’IA. Il alerte sur la nécessité de ne pas déléguer des tâches sensibles, comme l’évaluation ou la certification, à ces technologies, en raison des implications morales et des limites inhérentes aux outils actuels. De plus, il met en lumière les réticences que certains élèves expriment face à ces innovations, soulignant l’importance d’une approche bienveillante et réfléchie.

En définitive, Franck Tarin incarne une vision équilibrée de l’utilisation de l’intelligence artificielle dans l’éducation : un outil puissant au service des élèves, qui doit être employé avec discernement, en respectant les principes d’équité et d’éthique propres à la mission éducative.

Vita, un chatbot avec ou sans IA conçu pour et par les élèves en SVT

Mélanie Fenaert, professeure de Sciences de la vie et de la Terre (SVT) et de Sciences numériques et technologie (SNT) au lycée Blaise Pascal à Orsay, innove en impliquant ses élèves dans la création de Vita, un chatbot éducatif. Construit à l’aide des outils ChatMD et CoIMD, disponibles dans la Forge des communs numériques éducatifs, ce projet collaboratif rassemble en un seul support accessible en permanence une multitude de ressources de révision : fiches mémo, exercices en ligne...

Depuis plusieurs années, Mélanie Fenaert développe des outils pédagogiques pour ses élèves et souhaitait centraliser ces contenus dans un dispositif pratique et interactif. Vita, qui s’enrichit au fil du temps, devient ainsi un outil d’entraînement et de mémorisation à long terme. Ce projet ne se limite pas à un simple apport de contenu : il place les élèves au cœur de la démarche. La co-construction du chatbot les aide à identifier les notions clés du programme, à développer leur métacognition et à s’initier à des notions de programmation légère. Ils abordent également l’utilisation de l’intelligence artificielle avec un esprit critique, un enjeu clé dans le contexte éducatif actuel.

Le développement technique s’appuie sur ChatMD, un outil conforme au RGPD 4, qui permet une interconnexion avec un modèle de langage (LLM) via un mot de passe. Avec ce mot de passe, les utilisateurs peuvent accéder à des réponses générées par l’IA, tandis que sans mot de passe, seules des réponses prédéfinies sont disponibles. Cette souplesse garantit une utilisation adaptée à différents besoins pédagogiques. L’interface, développée avec CodeIMD, combine divers médias pour enrichir les interactions : textes, quiz, images, vidéos et même modèles 3D. En attendant l’intégration d’un modèle de langage dédié à l’Éducation nationale, l’outil utilise actuellement Cohere pour générer ses réponses.

Pour améliorer la pertinence et la fiabilité des interactions, le chatbot s’appuie sur une base de connaissances spécifique, accessible via des fichiers ajoutés par l’enseignante. L’intégration de prompts prédéfinis et de questions-guides réduit les risques d’hallucinations, tout en orientant les élèves vers les concepts clés. Mélanie Fenaert expérimente également l’évaluation automatisée des réponses des élèves par le chatbot, basée sur des critères précis, permettant une rétroaction personnalisée et des corrections ciblées.

Au début de l’année scolaire, l’intelligence artificielle dans Vita est utilisée de manière limitée, mais son rôle augmentera progressivement. Mélanie Fenaert insiste sur l’importance d’encadrer les réponses générées par une base de connaissances fiable, tout en sensibilisant les élèves à maintenir un esprit critique vis-à-vis des informations fournies. Ce dispositif, conçu pour évoluer, sera également accessible aux élèves l’année suivante en terminale, offrant une continuité dans leur apprentissage.

Des expérimentations renversantes en mathématiques

Depuis 2023, Yohann Le Boulair, professeur de mathématiques au Lycée international de Saint-Germain-en-Laye, pilote des initiatives novatrices pour intégrer l’intelligence artificielle dans les apprentissages. L’établissement, équipé de tablettes et d’ordinateurs portables, favorise l’expérimentation et l’exploitation des technologies numériques. Parmi ces initiatives, la création d’un Virtual Lab permet aux élèves d’explorer les usages de l’IA, tout en développant une dynamique de transmission des savoirs par les pairs : des élèves de terminale y forment des collégiens, établissant ainsi un pont entre les niveaux scolaires.

En collaboration avec ses collègues, Yohann Le Boulair s’est engagé dans une réflexion sur l’impact de l’IA sur l’apprentissage des mathématiques. Cette démarche a été enrichie lors du Forum des innovations pédagogiques, où des échanges avec des experts ont éclairé les enjeux pédagogiques et éthiques. Les sondages réalisés auprès des élèves ont révélé que plus de 60 % des lycéens utilisent déjà l’IA à domicile, posant la question cruciale de leur formation à ces outils. Ainsi, des activités spécifiques ont été mises en place, telles qu’un chapitre sur les statistiques en classe de seconde et une introduction à l’IA via Scratch pour les élèves de sixième. Ces activités s’accompagnent de débats sur les notions de RGPD et la pensée critique, contribuant à sensibiliser les élèves à une utilisation responsable des outils numériques.

Depuis l’année dernière, le lycée expérimente un dispositif inspiré de la classe renversée dans plusieurs classes de seconde. Dans ce cadre, les élèves endossent le rôle d’enseignants, concevant eux-mêmes les cours, les exercices et les corrigés, tandis que leurs professeurs jouent les apprenants. Cette année, un groupe a intégré l’utilisation de l’IA pour créer les supports pédagogiques, tandis qu’un autre servait de groupe témoin.

Le bilan de cette initiative est révélateur : les élèves ont consacré en moyenne quatre heures à élaborer un cours sur les statistiques descriptives, et 91 % d’entre eux avaient déjà utilisé l’IA avant le projet. L’IA, utilisée comme un auxiliaire, a permis d’approfondir certaines notions et d’en clarifier d’autres, bien que certains contenus produits dépassaient le programme du lycée français. Cette expérience souligne la nécessité d’un accompagnement pour guider les élèves dans l’utilisation pédagogique des outils d’IA et éviter des erreurs conceptuelles.

L’initiative a été inspirée par l’observation d’une élève ayant utilisé ChatGPT pour surmonter une difficulté, un exemple qui a ouvert la voie à des discussions sur les applications possibles de l’IA en classe. Par ailleurs, un projet ludique basé sur le jeu de NIM a permis d’illustrer les applications concrètes de l’IA, tout en renforçant l’engagement des élèves.

D’autres projets sont en préparation, notamment des formations sur l’utilisation éclairée de l’IA et des activités mêlant IA et arts plastiques, afin de promouvoir une approche interdisciplinaire. Yohann Le Boulair insiste sur le rôle crucial de l’expertise des enseignants pour garantir une intégration réfléchie et efficace de ces technologies. Ces initiatives visent non seulement à enrichir les apprentissages, mais aussi à préparer les élèves à naviguer dans un monde numérique complexe et en constante évolution.

Les travaux sur l’IA des Greid de l’académie de Créteil

La journée des Greid de l’académie de Créteil s’est également tenue en parallèle du salon Educatech. À l’occasion de cette rencontre, et à travers cinq exemples concrets, les groupes de réflexion disciplinaires ont témoigné du potentiel et des apports de l’IA dans des contextes variés, tout en réaffirmant l’importance des précautions à prendre avec les technologies actuelles.

L’article Les opportunités de l’intelligence artificielle à des fins pédagogiques et la formation des élèves reprend les points essentiels de ces témoignages.

 Perspectives pour l’IA en éducation

L’association Class’code, créée en 2015 dans le cadre du Programme d’investissements d’avenir, a pour objectif de développer des ressources pédagogiques libres dédiées à l’enseignement du codage et de la pensée informatique. Parmi ses contributions majeures, un MOOC sur l’intelligence artificielle (IA) en 2020 a permis de poser les bases de la différenciation des usages éducatifs des intelligences artificielles. Bastien Masse, délégué général de Class’code, insiste sur la distinction entre IA éducative et générative, et sur l’importance d’avoir des outils conformes au RGPD.

Alors que 80 % des élèves utilisent déjà des IA et que les outils d’IA générative sont intégrés dans la plupart des plateformes destinées aux enseignants, le défi est d’assurer leur pertinence et accessibilité dans un cadre éducatif structuré. L’accent est mis sur la pensée critique et les infrastructures matérielles nécessaires à l’intégration efficace de ces technologies. Les limites imposées par certains pare-feu, l’absence de transparence de certaines ressources et les biais observés dans les données d’entraînement restent les principaux obstacles. De nouveaux outils apparaissent tous les jours et les conditions d’utilisation changent régulièrement. Actuellement, on peut distinguer trois types de solutions : les outils commerciaux, les solutions dites ouvertes (alors que l’origine de leurs données d’entraînement sont inconnues) et les produits des EdTech.

Deux projets majeurs innovent dans l’intégration de l’IA pour l’éducation. Le GTNUM GenIAL, un groupe de travail qui associe des académies partenaires, des EdTech et des enseignants pour explorer les impacts des grands modèles de langage sur l’enseignement et l’évaluation, tout en garantissant la conformité RGPD. Ce projet met en avant des webinaires où enseignants, chercheurs et experts échangent sur leurs expériences et explorent les concepts fondamentaux liés à l’IA. Ces retours de terrain permettent d’identifier des difficultés et des attentes spécifiques, afin de sélectionner les outils actuels les mieux adaptés à la réalité des salles de classe.

Le second projet est OpenLLM. Il se distingue par son ambition de créer un modèle de langage totalement ouvert spécifiquement conçu pour des usages éducatifs. Contrairement aux modèles polyvalents, OpenLLM met l’accent sur des tâches précises comme la production de ressources pédagogiques ou l’intégration de la technologie RAG (Retrieval-Augmented Generation) qui permet de soumettre des documents (cours, bases de connaissances) afin de générer des réponses fiables tout en limitant les hallucinations. Le modèle repose sur une transparence totale, rendant accessibles les données d’entraînement. Il vise également une accessibilité technique accrue, avec des versions compactes adaptées aux équipements peu puissants comme les ordinateurs locaux ou les petites machines déployables facilement dans les établissements scolaires.

Les initiatives portées par Class’code, le GTnum GenIAL et OpenLLM illustrent une volonté claire : intégrer l’intelligence artificielle dans l’éducation de manière réfléchie et efficace, tout en plaçant les enseignants et élèves au cœur du développement des outils. Ces projets cherchent à créer un environnement éducatif où innovation technologique et inclusion se rejoignent pour répondre aux défis d’une ère numérique en constante évolution.

[1Dans cette optique, la Drane Île-de-France propose des formations sur l’IA et a organisé fin septembre 2024 un séminaire à destination des cadres (voir l’article Nos métiers de cadres à l’ère de l’intelligence artificielle).

[2Artificial Intelligence for and by teachers, est un projet européen sur l’IA en éducation. Un Mooc est disponible permettant de s’acculturer à l’IA en deux heures.

[3La Communauté de réflexion en éducation sur l’intelligence artificielle est accessible en ligne sur Magistère.

[4L’outil reste conforme au RGPD tant qu’on ne le connecte pas au LLM. Si on le fait, il faut alors l’accord du chef d’établissement et le consentement éclairé des parents.